Il y a grammaire et grammaires



Une grammaire, c’est d’abord un « livre, traité, manuel de grammaire » (Petit Robert). Mais c’est aussi - au sens du terme tel qu’il est employé dans la paraphrase définitoire précédente - une matière d’enseignement et une activité scolaire. Cette deuxième acception courante apparaît dans les expressions faire de la grammaire, un cours de grammaire et être bon/nul en grammaire où le terme renvoie à la transposition didactique d’une discipline scientifique, la linguistique, parfois encore appelée grammaire.

Ce dernier usage renoue avec une tradition ancienne qui remonte à la Grammaire générale et raisonnée d’Arnauld et Lancelot [1660] et même au-delà, aux Summae Grammaticae du Moyen Age et à toutes les Artes Grammaticae de l’Antiquité. Elle se poursuit jusqu’à l’avènement de la philologie historique à la fin du XIXe siècle, pour renaître sous la forme plus moderne de la grammaire générale entendue comme la science générale du langage (2.2). Les terminologies linguistiques d’inspiration générativiste ajoutent encore à la polysémie du mot en l’appliquant aussi bien à l’organisation implicite d’une langue qu’à sa description sous la forme d’une construction théorique.

Bibliographie. — J.-L. Chiss, La grammaire entre théorie et pédagogie. Langue française, 41, 1979, p. 49–59 – B. Combettes, J.-P. Lagarde, Un nouvel esprit grammatical, Pratiques. 33, 1982, p. 13-25 – N. Flaux, La grammaire, puf, 1993 (« Que sais-je ?») – F. François, L’enseignement et la diversité des grammaires. Hachette, 1974.

On distinguera également trois conceptions techniques concurrentes (mais non indépendantes) du terme grammaire :

► Toute langue présente un ensemble de régularités qui président à la construction, à l’usage et à l’interprétation des énoncés. Les locuteurs apprennent, puis appliquent ces principes d’organisation qui constituent la grammaire immanente à la langue. Il s’agit donc de l’ensemble des propriétés intrinsèques d’une langue et que l’on appelle aussi son système.

► Tout locuteur dispose d’une grammaire intériorisée de sa langue, dont il n’a pas conscience, mais qui lui permet de produire et d’interpréter des énoncés et par rapport à laquelle il juge intuitivement si un énoncé est bien ou mal formé.

► La grammaire intériorisée qui conditionne notre pratique langagière ne se décrit clairement qu’au terme d’observations et d’analyses minutieuses, qui sous leur forme achevée et synthétique constituent une grammaire-description (ou grammaire-théorie). C’est à cette activité réflexive que l’usage courant réserve le terme de grammaire. « Faire de la grammaire française » est une chose ; « parler français » ou « s’exprimer en français » en est une autre.

Remarques. 1. Système immanent à la langue ou réalité mentale source de nos réalisations langagières, la grammaire correspond à la notion statique de langue (1.1.), que les structuralistes opposent au discours et à celle, plus dynamique, de compétence, que les générativistes opposent à la performance (3.1).

2. Contrairement à une opinion encore fort répandue (« Les patois n’ont pas de grammaire », « Cette langue n’a pas de grammaire puisqu’elle ne s’écrit pas »), il n’y a pas de langue sans grammaire, ce qui serait d’ailleurs une contradiction dans les termes : une telle langue (?) ne pourrait ni s’acquérir ni se transmettre (il n’y aurait rien à acquérir ni à transmettre) et ne se prêterait, faute de régularités, ni à la confection ni à l’interprétation d’énoncés significatifs.

Bibliographie. — N. Chomsky, 1957, p. 15–19 – F. Dubois-Charlier, D. Leeman, 1975, p. 29-31 – N. Ruwet, 1967, p. 18 et 49–50.


Дата добавления: 2019-09-13; просмотров: 192; Мы поможем в написании вашей работы!

Поделиться с друзьями:






Мы поможем в написании ваших работ!